PIERRE FARIBAULT

mardi 14 juillet 2009, par fusmr

M. Faribault est né à Montréal, au Québec, le 11 octobre 1919. Il a passé une partie de sa jeunesse à l’Assomption en raison du décès de sa mère survenu lorsqu’il était très jeune. Son grand-père était avocat et son arrière-arrière-grand-père, lieutenant-colonel du régiment de Lavaltrie (date non disponible). Sa carrière militaire commence alors qu’il est commandant du corps de cadets du Mont Saint-Louis avec l’unité de COTC, le corps d’officiers. Il fait son cours d’officier (sous-lieutenant) et il s’enrôle comme volontaire, en août 1941, à l’âge de 21 ans, avec le régiment des Fusiliers Mont-Royal. Après une autre période d’entraînement à Farnham, au Québec, il devient lieutenant. On l’envoie par la suite en Angleterre et en Écosse où l’entraînement se poursuit. Après presque deux ans et demi, il participe à plusieurs batailles au front, dont celle de Groningue en Hollande. Il est officier de transport et commandant de compagnie à plusieurs reprises. Lors d’une bataille en Allemagne, son peloton capture 75 Allemands. En 1945. il prend part aux célébrations de la fin de la guerre à Berlin ainsi qu’à Paris. Il est de retour au Canada en octobre 1945. En l’an 2 000, lui et plusieurs autres anciens combattants canadiens ont été reçus de façon officielle par le gouvernement hollandais, lors d’un pèlerinage organisé par le gouvernement du Canada. M. Faribault vit à Montréal.

ANTÉCÉDENTS

Bien, mon nom est Pierre Faribault. Je suis né à Montréal le 11 octobre 1919, et j’ai vécu une partie de ma jeunesse à l’Assomption, à cause du décès de ma mère. Mon grand-père était avocat et son arrière-arrière-grand-père a été lieutenant-colonel du régiment de Lavaltrie. En quelle année ? Je ne pourrais pas vous dire, je ne le sais pas parce que je n’ai pas fait les recherches. Et j’ai gardé en souvenir son épée de lieutenant-colonel. J’avais aussi l’épaulette de major, avant qu’il soit promu, que j’ai remis au régiment… aux Fusiliers Mont-Royal où j’ai servi.

ENGAGEMENT ET FORMATION D’OFFICIER

Ma carrière militaire a commencé dans ma jeunesse. J’ai été mascotte de la garde d’honneur du Collège de l’Assomption. Et, ensuite, j’ai été au Mont-Saint-Louis où il y avait un corps de cadets ; j’ai été commandant de compagnie. Ça faisait un début de carrière militaire. Quand la guerre a été déclarée, ils ont… le gouvernement a formé des unités de COTC, corps d’officiers, école d’officiers [Corps-école d’officiers canadiens], où on allait deux soirs par semaine. Après un certain temps, on était reçu officier commissionné. J’ai été pendant… du début de la guerre jusqu’en 41, j’étais avec les cadets au COTC du Mont-Saint-Louis. On recevait, à ce moment-là, l’appel pour faire trois mois d’entraînement obligatoire pour le gouvernement. C’était une mobilisation. Mais quand on recevait nos lettres, le colonel Saint-Pierre nous exemptait ; il écrivait au gouvernement qu’on était au COTC. Mais, un moment donné, tout ça a arrêté. Alors, il nous a dit : « Ceux qui sont appelés, la seule chose que je peux faire, je peux vous recommander pour faire votre… réellement votre cours d’officier à Saint-Jérôme et à Brockville. Mais, il faut que vous signiez comme volontaire. » Intervieweur : Oui d’accord. Alors, comme j’avais 21 ans et que j’étais en parfaite santé, j’ai dit, si je suis pour aller à la guerre, je vais y aller un petit peu mieux que simple soldat parce qu’on a un paquet d’avantages ; d’abord la nourriture est un petit peu meilleure et puis les permissions sont plus faciles, enfin. Alors je suis allé à Saint-Jérôme ; je me suis enrôlé en août 41. Je suis allé à Saint-Jérôme deux mois, ou deux mois on s’en allait à Brockville, puis là, on faisait trois mois d’entraînement. Au bout de trois mois, on était reçu sous-lieutenant, ce qu’on appelait « une pipe ». Les étoiles dans le temps, on appelait ça des « pipes ». Alors, après avoir suivi ce cours-là et avoir eu la première pipe, on s’en allait à Farnham pour ceux qui étaient dans l’infanterie. Ceux qui étaient dans l’artillerie s’en allaient à Petawawa. Comme je n’étais pas fort en chiffre, j’étais dans l’infanterie. Parce que l’artillerie, bien, ça prend du calcul beaucoup. Alors, je suis allé à Farnham ; j’ai fait un mois et, là, j’ai eu ma deuxième pipe. J’étais lieutenant. Ils nous envoyaient dans différents camps de la province comme officier d’entraînement pour les soldats qui étaient appelés. J’ai été deux mois là et, après, on m’a envoyé en Angleterre.

LA TRAVERSÉE

On m’a envoyé en Angleterre. J’ai traversé, j’ai été chanceux… j’ai traversé sur le Queen Mary. On était 18 000 passagers à bord. On était dans une cabine de deux, en temps de paix ; on était 18 et c’étaient des bunks sur l’allée. Quand il y avait quelqu’un dans l’allée, il fallait qu’il sorte si on voulait entrer. Puis il n’était pas question de douche. Mais la traversée a duré quatre jours parce que, le Queen, il changeait de direction toutes les cinq minutes. Puis, les sous-marins allemands, ça leur prenait plus que cinq minutes pour s’aligner. Alors, nous autres, on n’a pas été incommodé. On est arrivé en Écosse, à Gourock, parce qu’ils ne voulaient pas descendre le bateau dans la Manche. Alors, on est arrivé là et il ne pouvait pas accoster au quai, c’était trop gros, il n’y avait pas assez de tirant d’eau. Alors, on débarquait dans des petits bateaux. Une petite anecdote, à côté : un officier qui était avec nous autres avait traîné une bouteille de scotch dans son havresac ; il y faisait attention, c’était de l’or en barre. On descendait du Queen Mary par des échelles de corde. Puis il descend ; en arrivant au petit bateau, il a sauté. Son sac a frappé le bord puis la bouteille a cassé. Il en pleurait, ce pauvre gars.

Entraînement et officier de renfort en attente
Alors on a été envoyé dans un camp qu’ils appelaient le CIRU (Canadian Infantry Reinforcement Unit) où on était en entraînement jusqu’à ce que l’action arrive. Mais ça, ça a duré deux ans et demi. Pour nous occuper, ils nous envoyaient suivre des cours, des cours de CTI (Canadian Training Infantry). Ce sont des cours de commandos, des cours de mortier, des cours de communication wireless, des cours de… En tout cas, on allait suivre un cours pendant x temps, dépendant du cours puis, quand on revenait, on avait sept jours de congé. Puis là, ils nous faisaient suivre un autre cours parce qu’on était à peu près 200 officiers qui attendaient. Les régiments étaient là mais ils étaient formés ; alors, nous autres, on était là comme officiers de renfort. Alors, j’ai été suivre des cours pendant deux ans et demi. J’ai été, un moment donné, posté en Écosse avec le corps des forestiers pour aller fermer le camp quand ils déménageraient pour aller sur le continent. C’est après l’invasion, ça. Alors, j’arrive en Écosse pour… j’avais été envoyé là… j’arrive là et je me présente à la compagnie. C’était une compagnie où il y avait six officiers seulement, puis bien installés. C’étaient des coupeurs de bois, alors ils s’étaient montés des beaux petits camps. Le lendemain matin, j’arrive au déjeuner, le waiter arrive puis il me dit : « Comment voulez-vous vos oeufs ? » Ça faisait deux ans et demi qu’on n’avait pas vu d’oeufs, pas de vrais oeufs, c’était des oeufs en poudre. Là, eux autres, ils étaient en Écosse ; ils allaient chez les fermiers et ils achetaient la nourriture, ils achetaient des oeufs, ils achetaient tout. C’était le grand luxe. Ça, ça a été une expérience assez agréable puis c’est de là… quand je suis revenu de là… qu’ils m’ont envoyé sur le continent.

LA VIE SOCIALE EN ANGLETERRE

Moi, je suis arrivé au mois de septembre en Angleterre, et on était à 40 milles (64 km) de Londres. On est arrivé un mercredi, je pense, ou jeudi, ça n’a pas beaucoup d’importance, sauf que c’était la fin de la semaine. Comme officier, les fins de semaine, à moins d’être officier de jour, on n’a rien à faire. Alors, avec d’autres qui étaient déjà rendus, on a dit : « On va aller à Londres. On va aller voir Londres. » Alors on prend le train… ça prenait 40 minutes à peu près… puis on est descendu à Londres. Moi, je me souviens que quand je suis allé à Londres la première fois, je suis allé à Londres tout seul. J’ai pris le train, débarqué à Londres à la gare de Waterloo, puis là, ils avaient des kiosques : les Chevaliers de Colomb, la Croix Rouge, et tout ça. Intervieweur : Salvation Army. Salvation Army qui nous bookaient des chambres. On a juste à aller les voir puis on disait : « Je veux une chambre pour un soir, deux soirs. » C’étaient des prix raisonnables. Alors, moi, je vais voir un de ces kiosques-là puis il me book une chambre ; on me marque sur un papier l’adresse et tout ça. Je sors de la gare puis je prends un taxi. Je montre au chauffeur, puis je parlais presque pas anglais… j’ai appris mon anglais en Angleterre… je lui montre l’adresse, puis le chauffeur me conduit là. Il est deux heures de l’après-midi peut-être, à peu près ; je rentre dans ma chambre, je laisse mon sac là et je ressors. C’était dans l’environnement de Trafalgar Square. Alors, je me promène et, un moment donné, je rentre aux vues. Alors, je rentre aux vues, mais quand je suis sorti du cinéma c’était black-out, c’était noir, on ne voyait rien. Puis, je n’ai pas mon adresse avec moi, je l’ai laissée dans la chambre ; je ne sais pas où je l’ai mise. Alors j’ai dit, je pouvais pas être loin ; je me suis mis à marcher, puis à marcher, puis à tourner. Un moment donné, je suis arrivé en face de l’hôtel puis j’ai dit, c’est là. C’était une petite expérience. Une petite anecdote d’abord : où on était, les officiers, on était assez bien nourri, on avait notre mess et on avait notre batman qui était notre aide-de-camp, si vous voulez, qui frottait nos bottines, nos boutons et qui faisait notre lavage. Mais une autre affaire, quand je suis arrivé, le soir, on est allé au mess, puis avant le dîner, bien, dans les mess, on va toujours prendre un verre. Alors, moi, j’ai pris une bière, mais c’était de la bière anglaise, mauvaise au superlatif. La première fois, c’est amer. Alors il y avait… ce qui nous choquait, c’est que les unités anglaises, les British, avaient de la Molson puis nous autres on en n’avait pas. Alors, des détails. Comme nourriture… c’était trois fois par semaine, du mouton. Alors, quand je suis revenu, j’ai dit à chez nous : « Servez-moi pas de mouton parce que je vais vous tricoter quelque chose. » C’était mauvais, c’était mauvais ça, mais par contre on pouvait aller dans les restaurants, et c’était assez abordable comme prix. Il y avait, quand on était… je suis allé, moi, suivre un cours de battle-drill, près de Woolwich, sur la côte… et, en fin de semaine, on sortait puis on allait à une petite ville pas loin… ça ne me revient pas le nom. Mais, il y avait un restaurant, à Brighton, qui nous servait, si on arrivait de bonne heure, avant 5 heures, un steak de cheval avec des frites. Puis ça là, c’était le cadeau de la semaine.

L’ARRIVÉE D’UN RENFORT AU RÉGIMENT

Alors, je suis arrivé au régiment, puis il y avait quelqu’un qui… je suis arrivé au régiment puis je connaissais pas personne. Je me suis présenté à l’adjudant qui était un type que je connaissais, un nommé Gamache, Gilles Gamache, qui est devenu colonel après la guerre au Régiment de Châteauguay. Je le connaissais, on s’était rencontré plusieurs fois et il demeurait sur la rue Saint-Hubert où je demeurais. Enfin, j’étais content de retrouver quelqu’un que je connaissais. Il me présente au colonel Dextraze qui est devenu chef de l’armée canadienne, qui était un homme excessivement efficace, mais pas facile. C’était ça, c’était ça. Puis, c’était pas le gars qui était en arrière… il était là. Il me dit : « Vous allez aller comme officier de renfort avec… comme second officier en charge des transports. » « Oui, Monsieur. » Et puis, ça a fini là. J’ai dit à Gamache après… c’est ça, il dit : « Je vais t’envoyer reconduire… » Parce que… ils sont en action, dans le fond. Il n’y a pas de bataille à ce moment-là, mais ils sont en position défensive. Il m’envoie conduire l’officier de transport puis là, je trouve un type avec qui je jouais quand j’étais petit gars, un nommé Lamarre. Alors, je dis à Henri : « Qu’est-ce que je fais comme officier de transport ? » Il dit : « Comme ton assistant, il dit, tu fais rien. » Puis, il dit : « Dans la première attaque qu’il va y avoir, il y a un gars qui va se faire batter, puis tu vas aller prendre sa place. » Alors, c’était encourageant ça. Mais comme de fait, le lendemain il y a eu une attaque, puis il y a un officier qui s’est fait tuer. J’ai été prendre sa place, puis j’ai été quatre mois au front.

PRENDRE LE COMMANDEMENT AU FRONT

Puis, j’ai été prendre sa place ; j’ai été quatre mois au front, du mois de janvier à la fin de la guerre. Mais, quand on arrive là en action, au front, en position défensive, là ils étaient partis. On était à Nijmegen, quand je suis arrivé. Là, ils étaient partis. Ils venaient de prendre la ville de Calcar, en Allemagne. On était rendu en Allemagne, là, parce que ça déménage… On s’imagine que les régiments c’est toujours la même affaire, mais ils les prennent d’une place puis ils les déménagent à l’autre. Alors ils avaient pris Calcar. Je remplace le lieutenant qui s’est fait tuer, puis mon sergent me dit : « Je vais aller vous présenter aux hommes, » d’un slit trench à l’autre, d’une tranchée à l’autre. Alors, on passe devant un premier, un deuxième, un moment donné j’entends deux gars qui étaient : « Ah ! un autre maudit fou qui vient se faire tuer ! » Ça, c’est encourageant, mais tu te dis : « La première attaque, il faut que je leur montre que c’est moi qui est le boss. » Comme de fait, on a eu une attaque le lendemain, puis je leur ai montré ce que je pouvais faire. Je n’avais aucune expérience, ils en avaient plus que moi, mais…

L’AVANCE EN ALLEMAGNE ET EN HOLLANDE

Après Calcar, on a pris Kleve. Puis là, ça c’était sur la frontière de la Hollande et de l’Allemagne. Là, on a reçu des ordres qu’on s’en allait en Hollande, dans la partie ouest. La 2e Division devait libérer la Hollande sur la partie ouest. La partie est, je pense, était couverte par la 1re Division du 22e, mais les autres… ça fait longtemps là, il y a des… Mais, on est parti de la frontière allemande, puis on est monté jusqu’au nord, à Groningue. Mais ça, il y a eu un paquet de batailles là.

REMISE DE LA CROIX MILITAIRE ET CAPTURE DE SOLDATS ALLEMANDS

Je ne veux pas me vanter là, mais je peux vous conter mon histoire de Croix militaire, si vous voulez. Intervieweur : Bien sûr. Là… il faudrait que je vous fasse un petit dessin. Ça, c’est l’Allemagne, puis ça c’est la Hollande. Nous autres, on est ici. Ça, c’est dans un petit bois, un boisé. Là, il y a la route, mais ici, ça arrive à la frontière là… Il n’y a pas de carte de frontière… puis, ici, il y a un village. La maison est comme ça ; il s’appelle Gendringen, petit village de, admettons, 50, 60 maisons. On est dans un petit bois ici, on reçoit les ordres qu’il faut prendre le village, la compagnie B dont je fais partie. Une compagnie a trois pelotons, trois pelotons d’à peu près 30 hommes, mais c’est jamais complet parce qu’il y a toujours quelqu’un de malade ou de blessé ou quelque chose de même… donc environ 30 hommes. Le major, le commandant de la compagnie, décide comment l’attaque va se faire. Il décide que c’est tel peloton, le peloton 11, qui va être le premier qui va prendre les premières maisons. Moi, le 2e peloton, j’étais le peloton 10, je vais passer au travers, puis je vais prendre l’autre, puis le 3e peloton va prendre… On est dans le bois, on sort du bois… le 1er peloton, un nommé Caron, il est commandant de peloton… il sort du bois, puis les Allemands qui sont dans le village nous mitraillent. Il se fait tuer, il se fait prendre, il se fait tuer. Son sergent, qui est censé prendre la relève puis continuer, qui est là, fige et reste là. Mais les Allemands continuent à mitrailler puis continuent à nous envoyer des obus de mortier. Si on reste là, la compagnie est lavée complètement et l’objectif n’est pas pris. Je ne pouvais pas communiquer avec mon commandant de compagnie ; je n’ai pas de communication, c’est lui qui les a, le premier. Mais, je ne peux pas aller le rejoindre. Je décide que je passe au travers puis, en passant, je dis à son sergent : « Embarque en arrière. » Puis là, on a pris son objectif, puis le mien, puis on a pris 75 prisonniers. Puis, l’attaque en… mais, si on reste là, il n’y a plus personne, je ne suis pas ici. Si c’est moi qui est le premier peloton, je ne suis pas ici non plus.

LA GRATITUDE DES HOLLANDAIS

Alors, quand, en l’an 2 000, je suis allé en Hollande, aux fêtes de la Hollande, le gouvernement hollandais recevait les vétérans. Ils appelaient ça Thank You, Canada. “Do you know about it ?” Je suis allé, puis on logeait dans des familles hollandaises ; je n’ai jamais vu des gens avec autant de reconnaissance que les Hollandais. Puis, en général, ce sont tous des gens qui n’ont pas vécu la guerre, sauf mon…. où je demeurais moi… c’était un ancien colonel de l’armée hollandaise, qui était à la retraite. Il a vu ses parents à l’âge de cinq ans, se faire arrêter par la Gestapo. Mais, ils sont revenus. C’était à la fin de la guerre et puis ils sont revenus. Mais, la population hollandaise, c’est un peu extraordinaire. Moi, j’ai parlé avec un petit garçon de 13 ans qui parlait un anglais impeccable, bien mieux que le mien. Puis, un moment donné, il dit : « Vous autres, les Fusiliers Mont-Royal, il dit, vous avez libéré la ville de Beilen, le 17 de mars 1945. » « Ah, j’ai dit, moi j’étais là à Beilen, puis demande-moi pas la date, je ne le sais pas. » (Inaudible) puis je sais ça, mais je ne le sais pas. J’ai dit : « Comment ça se fait que tu sais ça ? » Il dit : « À l’école, on étudie l’histoire de la guerre, puis si on n’a pas 60 pour cent, on ne fait pas notre année. » Ça fait partie de l’instruction. Intervieweur : Obligatoire. Obligatoire… Alors, nos enfants ne savent pas ça. Il y en a même qui se demandent c’est qui Hitler ?

LA BATAILLE DE GRONINGUE

Là, il y a eu toutes ces batailles-là, Almelo, Beilen, Zwolle, et tout ça. Mais, la plus grosse bataille qu’on a eue, c’est la ville de Groningue. La ville de Groningen ou Groningue, c’est une ville d’à peu près 500 000 habitants. On s’est battu pendant deux jours et demi de temps, de maison en maison, de rue en rue, on rentrait par en avant, on « clairait » la maison, s’il y avait des Allemands. On sortait par en arrière, puis on rentrait par en arrière, puis on sortait par en avant, pendant deux jours et demi de temps. C’est long, pas mal. Puis là, il y a eu des, il y a eu beaucoup de pertes. J’ai une voix grave. Intervieweur : Okay. Bon bien, si vous êtes prêt, on continue. Pour revenir à Groningue, après deux jours et demi de bataille, le colonel Dextraze décide d’aller demander au général allemand de se rendre. Alors, il part avec son chauffeur et un drapeau blanc, et il va rencontrer le général allemand, qui lui dit : « Vous venez vous rendre ? » Il dit : « Non, c’est toi qui te rends. » Alors, après des pourparlers, les Allemands se sont rendus. Alors, ça lui a valu une agrafe à sa DSO, Distinguish Service Order.

CONTRÔLE DE LA TROUPE APRÈS LA VICTOIRE ET DÉCOUVERTE D’UN BARIL DE GIN EN HOLLANDE

Petite anecdote : après la bataille de Groningue, on est installé en défense à Groningue. La défense était pas forte parce qu’il n’y avait plus rien. Mais, on était logé dans des maisons. C’est parce que la guerre… quand il y a une guerre… vous rentrez dans une maison et vous êtes comme chez vous. Alors, mes soldats avaient trouvé, par hasard – il y a toujours des gars qui sont bright – un baril de gin hollandais. Ce qu’ils ont fait, ils ont vidé leurs gourdes et ils les ont remplies de gin. Mais, ils se sont paquettés la fraise. Un moment donné, j’ai un de mes gars, qui est un mitrailleur, qui a une mitrailleuse comme arme au lieu d’un fusil, qui est paquetté ; c’est un descendant d’un Indien, ce qui est pas bien bon pour prendre de la boisson. Il est dans le milieu de la rue et il dit : « Venez-vous en, je vais vous tuer mes tabarouettes ! » pour parler français. Il n’y a personne qui veut s’approcher de lui, puis il est dangereux. Alors moi, je dis à un des gars : « Qu’est-ce que tu as dans ta gourde ? » Il dit : « J’ai du gin, moi. » « Donne-moi ta gourde. » Puis je m’en viens, la gourde en l’air, puis je dis : « Hé ! » Je ne me souviens pas de son nom, là. « Viens prendre un coup ! » « Ah non ! pas prendre un coup. » « Bien, viens prendre un coup ! » Je me suis approché de lui, puis là, une fois rendu sur lui, je l’ai désarmé puis je lui ai donné assez de gin qu’il est tombé. On l’a laissé dormir pendant une journée parce qu’on est resté là pendant à peu près une journée et demie. C’est une petite anecdote mais, il peut arriver n’importe quoi.

CAPTURE DE L’AÉRODROME ALEXANDER À OLDENBURG, EN ALLEMAGNE, ET ANNONCE DE LA FIN DE LA GUERRE

Quand on était… à Groningue, l’intensité de la guerre commençait à diminuer, on sentait que les Allemands aimaient moins ça. Alors on s’est en allé pour prendre la dernière bataille, le champ d’aviation Alexander Airfield, à Oldenburg, en Allemagne. Pour se rendre au champ d’aviation, il fallait traverser un canal où il y avait un pont qui était levé, puis qui était de l’autre côté du canal, gardé par les Allemands. Encore là, c’est la compagnie B qui est désignée pour aller prendre le pont. Mais, il faut traverser le canal. Moi, je ne nage pas. Alors, j’ai dit à mon commandant de compagnie : « Hé ! Gilles !, moi je nage pas, ça va prendre des grands gars pour passer ça cette affaire-là. » Il me dit : « On va faire venir des bateaux de caoutchouc par les ingénieurs. » J’ai dit : « Ça va prendre combien de temps ? » Il me répond : « Ah ! on va avoir ça demain matin. » J’ai dit : « Entre temps, je vais aller faire une reconnaissance. » Alors je suis parti puis j’ai été faire une reconnaissance sur ce côté-ci du canal. Puis, admettons que le pont est ici, moi je veux aller plus bas. Si on traverse là, on va revenir puis, on va les prendre par en arrière puis, traverser direct, on se faisait… alors je demande la permission au major, qui me dit d’aller voir. Je reviens et je lui dis que ça peut se faire. Alors, bien, il dit : « Okay. » Les bateaux sont arrivés, deux bateaux en caoutchouc. On s’est rendu, on a traîné les moses de bateaux qui étaient gonflés. C’est pas pesant mais c’est embarrassant. On s’est rendu, on a traversé puis on est allé prendre les Allemands par en arrière, puis on a pris le pont. Puis le pont n’était pas endommagé, sauf le mécanisme pour le descendre, mais les ingénieurs sont arrivés puis ils ont… Alors, tout le reste du régiment a traversé le pont. Puis, le lendemain, on est en position défensive. À peu près, vers 10 h 30, 11 heures, il y a un runner, pour parler français, qui vient nous dire : « Il y a un (inaudible) au bureau du commandant… c’est pas un bureau mais en tout cas… du commandant, à 11 heures. On s’est tous dit entre nous autres : « Pour moi c’est la fin de la guerre. » Parce que ça sentait ça. Puis comme de fait, c’était la fin de la guerre.

DÉFILÉ DE LA VICTOIRE À BERLIN, APRÈS LA GUERRE

C’était la fin de la guerre. Puis là, il y a un de mes soldats qui dit : « Ça parle au maudit, on va être obligé de frotter nos bottines. » Après que la guerre a été finie, on a été posté dans un petit village en Hollande qui s’appelait Rijssen. Les soldats logeaient dans une usine puis, nous autres, on était logé dans des familles. Puis là, le gouvernement a décidé qu’il formait un bataillon spécial pour aller à Berlin, faire le défilé de la victoire, comme les Allemands avaient fait à Paris. Le colonel Dextraze avait décidé lui… il signait pour aller au Pacifique. Alors, ils ont demandé qui voulaient aller au Pacifique. On s’en retournait tout de suite au Canada, mais moi ça ne m’intéressait pas du tout. Alors lui, il est parti puis, c’est le second en commandement, le major Roy, qui a été nommé colonel, puis Laurent Roy était (inaudible). Quand ils ont formé… le gouvernement a demandé une… deux compagnies des Fusiliers Mont-Royal, deux compagnies du South Saskatchewan puis deux compagnies d’un autre régiment, pour former un bataillon qui se rendrait au défilé de Berlin. Puis, Laurent Roy a dit : « Moi je suis correct, je vais envoyer les gars qui se sont battus, qui ont fait pas mal de temps. » Alors, il a choisi ses officiers, et j’ai eu le privilège d’aller à Berlin pendant trois semaines. Mais, la journée du défilé, je n’ai pas fait le défilé parce que j’avais été nommé officier du jour, puis officier du jour, il faut être au bureau au cas où quelque chose arriverait. C’est lui qui est responsable de… puis ça arrive une fois par… quand il y a douze officiers ou quinze officiers, ça arrive une fois tous les 10, 12 jours. Mais ça a tombé cette journée-là, ça fait que je n’ai pas fait le défilé. Mais, à Berlin, c’était pénible à voir parce que c’était détruit. Puis, ils… on voyait les femmes, cinquante femmes alignées là qui ramassaient une brique, puis ils se la passaient pour empiler. Il fallait qu’elles travaillent ; si elles ne travaillaient pas, elles ne mangeaient pas. Nous autres, on était logé dans… quand on est arrivé là, le colonel Coffin, qui était le commandant du régiment, à ce moment-là, special regiment, il choisit un espèce de château, une maison dans le genre des grosses maisons de Westmount, dans la montagne. Il en choisit une pour faire ses quartiers généraux, le mess des officiers, puis le logement des majors. Puis, nous autres, il nous loge dans des duplex un peu partout, les lieutenants. Mais, quand il choisit cette maison-là, la madame qui reste là, elle dit, et le colonel dit à l’interprète : « Dis à la madame que dans une heure, on rentre puis on prend sa maison, puis il n’y a pas de peut-être bien, c’est ça. » La madame dit : « Si vous prenez ma maison, je vais me pendre dans ma cour comme mon mari s’est pendu quand les Russes sont rentrés. » Le colonel Coffin dit à l’interprète : « Dis-lui de se dépêcher de se pendre parce que dans une heure on rentre. » Elle ne s’est jamais pendue. Dans le… à Berlin, on n’avait rien à faire en attendant le défilé. On allait… on amenait les hommes au terrain des olympiques puis, il y avait la piscine, il y avait toutes les installations. Mais, nous autres, dans notre logement, on avait… on demeurait dans un duplex ; les capitaines en bas, puis les lieutenants en haut. Mais, on avait un gars qui était spécial un peu. Il s’en va à une brasserie en Allemagne, à Berlin, avec une interprète, puis il dit, à la brasserie, il dit : « On veut avoir de la bière. » Alors, la brasserie venait nous livrer un baril de bière à tous les jours… dans la cuisine ; on avait le baril de bière puis ça nous coûtait rien.

CÉLÉBRER LA FIN DE LA GUERRE À PARIS

Après être venu de Berlin, on m’a… le colonel Roy nous a dit : « Bien, si vous voulez aller à Paris, on va vous donner un laissez-passer pour aller à Paris, neuf jours. Après ça, bien, on va probablement s’en retourner au Canada. » On est allé à Paris pendant neuf jours. À Berlin, on a « fait du marché noir ». Une cigarette ça valait de l’or pour les Allemands parce qu’ils achetaient de la nourriture avec des cigarettes. Alors, un petit paquet de cigarettes de dix, qui existait dans le temps, on pouvait avoir 100 $ en équivalent. Moi, j’ai ramassé de l’argent ; la moitié d’une barre de chocolat, c’était 50 $. J’ai vendu une montre là – juste le boîtier, il n’y avait rien dedans, je l’avais au bras – à un Russe… « C’est ça que je veux avoir. » Soixante et quinze piastres cash en argent américain. J’ai dit : « si l’argent est pas bon, quand je vais revenir, je le jetterai, je n’ai rien à perdre, la montre est pas bonne. » Je ne sais pas comment ça se fait que j’avais ça, je ne le sais pas, en tout cas. L’argent était bon, quand je suis revenu, je l’ai déposé à la banque et je n’ai pas eu de problème. J’ai dépensé dans neuf jours à Paris 1 900 $, mais pas une cent de ma paie. C’est… c’était tout… on était tout pareil, on était tout arrangé pareil. On prenait rien que du champagne, on ne prenait pas autre chose. Alors, ça, c’était agréable. Intervieweur : C’était quoi l’ambiance à Paris à la fin de la guerre ? L’ambiance était bonne, mais on allait… ils nous avaient réquisitionné l’hôtel St. James and Albany pour les officiers. Alors, on logeait là puis, on pouvait manger pour une bagatelle de 3 $ par jour. Ils avaient aussi ouvert un club d’officiers sur, à côté de l’opéra, qui était réservé aux officiers où là aussi on mangeait bon marché. Puis, on avait du champagne bon marché ; c’était l’endroit où les Parisiennes voulaient se faire inviter parce qu’elles mangeaient mieux que chez eux. Mais, il n’y avait pas de transport à part du métro, les autobus. Il n’y avait pas d’autos, il n’y avait rien. Il n’y avait pas d’essence encore.

LE RETOUR ET L’ACCUEIL AU CANADA

Quand on est revenu de Paris, ils m’ont envoyé moi tout seul en Angleterre pour préparer le retour du régiment en Angleterre. Je suis arrivé en Angleterre, puis je suis allé au camp où je devais me rendre. Je vais voir l’adjudant, et je lui dis : « Il n’y a rien à faire, tout est prêt, on vous attend. » Alors, je n’ai rien eu à faire encore… j’ai été chanceux dans un certain sens. Quand le régiment est arrivé au début de septembre, on n’avait rien à faire et on ne savait pas quand on revenait. Il n’y avait pas de bateau. Alors, ils nous donnaient des congés ; on allait à Londres et on dépensait l’argent qu’on avait. Alors, quand je suis revenu, on n’avait plus d’argent, ça avait été dépensé parce qu’on avait eu trop de congés. On est revenu sur le Queen Elizabeth. Moi, je me suis toujours dit que je ne voyage pas dans les petits bateaux. Sur le Queen Elizabeth, on était encore 18 000 à bord. Mais il n’y avait plus des restrictions du voyage. Le premier voyage, on n’avait pas le droit de sortir sur les ponts, le soir, parce qu’on n’avait pas le droit de fumer. Si le feu de notre cigarette là ça avait pu… Intervieweur : C’était le black-out. Mais là, après la guerre, on pouvait sortir sur les ponts, tout ça. On est arrivé à Halifax le 27, 26 d’octobre. Il pleuvait à boire debout. On était tous sur les ponts puis, quand on est arrivé et que le bateau accostait là, il y avait une fanfare sur le quai qui jouait O Canada. On braillait comme des enfants. Ah ! c’était absolument incroyable ! On a pris le train, on est descendu à Montréal, le dimanche matin le 28 et, là, il y a eu un grand défilé de l’ancienne gare Bonaventure au stadium des Royaux, sur la rue Delorimier. Il faisait un froid de loup… et, nous autres, on n’avait pas froid, parce qu’on marchait. Mais les gens qui nous attendaient, nos parents, là, dans le stadium, ils gelaient. Ça fait que, il y a eu une cérémonie puis…

LA PEUR

Celui qui dit être allé à la guerre et ne pas avoir eu peur a menti. On ne peut pas, pas avoir peur. Mais, on a peur avant une attaque, on n’a pas peur pendant ; on a peur après. Pendant, on n’a pas le temps ; mais avant l’attaque, on se demande si on va passer au travers. Puis, quand c’est fini, on dit, comment ça se fait que j’ai passé au travers ? Moi, j’ai été chanceux, en quatre mois et demi, je n’ai perdu que quatre hommes. Ils se sont fait tuer, j’ai eu des blessés mais réellement, décédés, je n’en ai perdu que quatre. Pourquoi – je ne le sais pas. Mais, pourquoi… on est dans une maison… pourquoi la bombe va rentrer là, puis elle va tomber là, puis tu es là. Pourquoi toi tu n’es pas là, puis la bombe… tu ne le sais pas. Rendu à la fin, on s’aperçoit, on dit… pourtant, il y en a une qui doit avoir mon nom dessus.

LA POPULATION ALLEMANDE

Intervieweur : Alors moi, ce que je me demande, aviez-vous des contacts avec les civils allemands ? Comme quand vous êtes entrés en Allemagne, est-ce qu’ils étaient hostiles ou ils étaient soulagés que les Alliés… ? Bien… ça dépend des gens, il y a des fanatiques partout. Moi, je vais vous conter une petite anecdote. Quand on a pris Kleve, je me trouvais à une croisée de chemins où il y avait une ferme. Il y avait une ferme d’un côté de la rue puis la maison du fermier était en face. On prend la place puis, dans la grange, il y a une vache. Alors, à un moment donné, il a un (inaudible) qui est appelé, je suis appelé pour une assemblée – on en avait trois, quatre par jour – je m’en vais, mais, pendant que je suis parti, j’ai dans mon peloton un boucher… qui tue la vache, l’éventre. Puis… je reviens du (inaudible) puis je… Mais, en Allemagne, ça ne nous faisait rien ; quand c’était en Hollande là, on disait aux gars, « Bien, tenez-vous tranquilles, c’est des Alliés. » Mais, en Allemagne, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Alors, ce qui a été drôle, c’est que l’habitant sort de sa maison avec sa chaudière pour venir traire sa vache. Il traverse la rue puis il ouvre la porte de la grange et il aperçoit la vache pendue. Il retourne de bord puis il s’en va chez eux. Mais, ça ne nous faisait absolument rien, ils ont fait bien pire que ça avec les autres. Mais, à Berlin, on n’avait pas le droit de fraterniser. C’était dans les règlements. Mais, il y en a qui réussissaient pareil à fraterniser. Intervieweur : Comme, faire du marché noir, est-ce que c’était considéré comme fraterniser ça ? Non, mais ça c’était fait en-dessous de la table. Parce que, on avait nous autres un photographe qui développait les films, un nommé Miller, puis on prenait des photos, mais il fallait les faire développer. Alors, on allait voir Miller puis c’est là qui se faisait du marché noir avec d’autres.

LE SOLDAT CANADIEN-FRANÇAIS

Très bon soldat… puis, les gens qui vont vous dire, ah, il était drogué. Jamais, jamais, jamais, il n’y a jamais eu aucune drogue pour les soldats. Il n’y a jamais eu… bien, il y a eu des gars qui ont pris un coup parce qu’ils ont volé du liquide. Mais jamais, jamais, c’est… on avait droit à une ration de rhum par jour, en action, qu’on distribuait. Moi, le rhum, je ne suis pas capable de boire ça. Alors, j’avais une deuxième gourde, puis je mettais ma ration de rhum dans ma deuxième gourde. Puis, quand elle en avait assez, je donnais une double ration à mes hommes. Alors, mais, il n’y a jamais personne qui s’est battu parce qu’il était drogué, qu’il était… non, pas vrai ça. Les journées de guerre, c’est pas des journées normales. Vous pouvez être réveillé à trois heures du matin et vous faire dire prepare to move. Puis là, il y a quelque chose qui se passe. Ils vous brief que l’attaque va commencer à quatre heures du matin, en surprise. Vous ne dormez pas ces nuits-là. Moi, je me souviens d’avoir été 36 heures sans manger. Les Allemands bombardaient pendant 36 heures de temps. On était dans le Hogwald Forest ; les obus arrivaient dans les têtes des arbres là. C’était un parapluie, en acier, qu’il nous aurait fallu. Mais, pendant 36 heures, ils essayaient de monter les rations puis ça montait pas parce que… quand ils sont arrivés à deux heures dans la nuit avec les rations, c’était les rations de la veille ; c’était de la sauce au poulet qui était sure. Alors, je commence à servir les gars ; le premier qui vient, il met ça dans sa mess tin [gamelle]… Il dit : « Les gars, hé !, c’est sure, lieutenant ! » J’ai dit : « As-tu faim ? » Il me dit : « Oui. » J’ai dit : « Moi aussi, j’ai faim, puis je vais en manger. » Personne n’a été malade, personne n’a été malade. En temps normal, on serait malade comme des chiens. Puis on avait des piqûres qu’ils nous donnaient. Tous les mois on avait une piqûre anti… je ne sais pas quoi. Intervieweur : Tétanos, là ou… ? Oui, le tétanos, c’est une fois ça. Mais, on avait, tous les mois on avait une piqûre anti-grippe et anti… S’ils avaient continué à nous donner ça dans la vie, on n’aurait jamais été malade.

LE COURRIER

Bien, en action, on n’avait pas le droit d’avoir un journal. Moi, j’ai eu mon journal, tout le temps que j’ai été dans l’armée, sauf en action. Quand je suis traversé sur le continent, il n’était pas question d’avoir ça, parce que si on se faisait prendre prisonnier, ça donnait trop d’information. Moi, j’avais un code avec ma famille quand je partais d’un endroit pour aller à un autre – on n’avait pas le droit de dire où on était. Alors, je disais, par exemple, quand je suis parti outre-mer, on est parti de Farnham, puis là ils savaient que je m’en allais outre-mer. Mais, on s’est en allé à Windsor, en Nouvelle-Écosse. Avant de prendre le bateau, on a été trois jours là. La dernière journée, on savait qu’on partait le lendemain. J’ai téléphoné chez nous puis, à la fin du téléphone, j’ai dit : « Vous direz bonjour à Paul. » Dans la famille, il n’y avait personne qui s’appelait Paul. C’était un code qu’on avait établi, puis ce qui est comique c’est que mon fils s’appelle Paul. Puis, une fois rendu en Angleterre, quand je suis parti pour aller sur le continent, j’ai écrit dans ma lettre « Bien, vous direz bonjour à Paul. » Intervieweur : Qu’est-ce que ça voulait dire ? Ça voulait dire que je m’en allais dans un autre endroit, puis là ils savaient que j’étais en Angleterre, donc si je dis « Vous direz bonjour à Paul », c’est parce que je m’en allais sur le continent. Puis quand je suis parti de Gand pour aller en action, là j’ai écrit encore « Oubliez-pas de dire bonjour à Paul ». Ça, ça voulait dire que je m’en allais en action puis là, je changeais mon adresse. Alors, je leur ai dit : « Je suis rendu aux Fusiliers Mont-Royal, » puis ils savaient que les Fusiliers étaient en action, alors. Mais, le courrier, c’était quelque chose en or, puis moi j’ai vu recevoir 18 lettres en même temps, parce qu’il est question de transport, il y a des… j’ai pas manqué… bien tout le monde numérotait leur lettre. J’ai manqué 7 lettres en tout… elles ne sont jamais arrivées… puis 3 paquets qui ne sont jamais arrivés. On recevait des paquets… chez nous m’envoyait toutes sortes de choses… du pâté à la viande dans, dans des cannes là, du chocolat chaud. Il y en avait même qui recevaient des bouteilles de scotch mis dans un pain creusé pour pas que ça casse ; puis, si ça cassait, bien le pain absorbait le liquide. Mais quand on recevait des paquets là – habituellement on était un petit groupe en Angleterre – bien on poolait ça puis on faisait un party, alors.

LA FIERTÉ D’AVOIR SERVI

J’ai fait la guerre parce que je voulais. D’abord, j’étais sûr d’être obligé d’y aller puis, je ne voulais pas y aller comme soldat, je voulais être mieux. Et puis, mais, je n’ai pas fait la guerre pour aller défendre l’Angleterre. J’ai fait la guerre pour aller défendre la paix, pour qu’on puisse vivre en paix. Parce que les horreurs qui se sont passées là-bas, je n’en ai pas vécu mais j’en ai entendu parler sur place. Et c’était pas comique. C’était même difficile. Puis, quand je suis retourné en l’an 2 000 là, en Hollande, le… mon hôte, le colonel (Sp – Former) qui m’a dit qu’il avait vu ses parents, à l’âge de 5 ans, arrêtés par la Gestapo, c’était pas comique ça non plus. Ils sont revenus parce que c’était à la fin de la guerre.

COLONEL FERNAND MOUSSEAU

Mais, il y a un type au régiment, le colonel Mousseau ; lui, il a été fait prisonnier en Normandie. Il était blessé, alors ils l’ont évacué dans un hôpital français à Paris. Puis, quand il a été assez bien, les gardes-malades l’ont aidé à s’évader. Ils l’ont mis en communication avec le maquis, puis il a fait du maquis jusqu’à la libération de Paris. Ensuite, il est revenu au régiment. Mais, faut le faire, ça.

 

 

Source : Anciens Combattants Canada