LIEUTENANT-COLONEL DOLLARD MÉNARD

1er Bataillon

1942

Pour le 1er Bataillon des Fusiliers Mont-Royal, le 1er avril 1942 marqua le début d’une transformation radicale. Un nouveau commandant, le Lieutenant-colonel Dollard Ménard, alors le plus jeune chef de bataillon du Commonwealth, s’amena à la barre du Régiment et le Major René Painchaud, pour sa part, succéda au Major Maurice Forget en tant que commandant adjoint, tandis qu’un autre officier senior du régiment, le Major Paul Trudeau, quittait également l’Angleterre pour regagner le Canada, ù, promu Lieutenant-colonel, il prit d’abord le commandement des Fusiliers de Sherbrooke avant de revenir aux Fusiliers Mont-Royal en tant que commandant de son 3e Bataillon.

Dollard Ménard avait déjà une carrière impressionnante derrière lui. Après ses études à l’Académie de Québec et un diplôme de l’Université Laval, il avait été le seul Canadien français de sa promotion au Collège militaire de Kingston en 1936. Officier d’active dans le Royal 22e Régiment, il n’y était pas demeuré longtemps puisque dès 1938, on l’avait dépêché aux Indes pour servir successivement avec les régiments 4/11 Sikh, Probyn’s Horse et South Waristan Scouts, dans l’artillerie de montage ainsi que dans un régiment de chars légers.

C’est ainsi qu’avant même le début de la Deuxième Guerre mondiale, Dollard Ménard avait participé à deux années de guerre d’embuscades et de coups de mains contre le Fakir d’Ipi et ses tributs rebelles, près de la frontière actuelle de l’Afghanistan. Promu Capitaine au début de la Deuxième Guerre mondiale, son retour des Indes au pays, via Hong Kong et Singapour tient de la saga. On le vit même servir à bord d’un navire de la Royal Navy britannique à Hong Kong et arraisonner un navire japonais.

De retour au pays, on lui accorda une permission de deux mois au cours de laquelle il en profita pour se marier, puis il rejoignit en Angleterre l’état-major de la 2e Division canadienne, avant de revenir au pays au pays une autre fois, suivre des cours d’état-major à Kingston. De retour en Angleterre, d’abord comme Major au sein du 22e, puis comme chef d’état-major de la 8e Brigade et se voir enfin confier le commandement des Fusiliers Mont-Royal à compter du 1er avril 1942.

De l’avis de tous ceux qui ont été mêlés à l’action des Fusiliers Mont-Royal à Dieppe, c’est l’arrivée de Ménard comme nouveau commandant, quatre mois avant le raid d’août 1942, qui devait transformer le régiment en une véritable unité de commandos.

Pour sa part, Ménard expliqua plus tard qu’à l’époque, tous les régiments étaient une espèce de clubs sociaux pour gens riches. Ces messieurs portaient l’uniforme avec le mouchoir de soie au poignet. Quand la guerre a éclaté, toutes ces personnes ont été mobilisées en moins de 24 heures. Ils n’avaient jamais vu une grenade et tiré un coup de révolver de leur vie. Ménard dit qu’il élimina alors les plus vieux et tous ceux qui ne faisaient pas son affaire. La moyenne d’âge de ses hommes tomba à 21 ans.

Avec de telles dispositions, on comprendra que le remplacement de Grenier par Ménard et celui de Maurice Forget par René Painchaud aient causés un certain émoi, fort compréhensible d’ailleurs, au sein de l’unité. On savait fort peu de choses sur le nouveau venu : qu’il n’était pas originaire de Montréal, qu’il était officier de carrière et qu’en dépit de sa jeunesse, il possédait une impressionnante fiche de service. Comme il était naturel en pareil cas, on réserva son jugement sur l’outsider.

Un des officiers alors en poste, après avoir été avisé qu’un nouveau commandant arriverait le lendemain, alla même jusqu’à écrire que bien des espérances étaient déçues et que toutes les petites combinardes qui s’étaient préparées derrière les coulisses ne savaient plus trop à quoi s’en tenir.

C’est qu’entrer à froid de l’extérieur dans une unité dont l’esprit de famille est aussi légendaire que celui des Fusiliers Mont-Royal n’est jamais une tâche facile. Officier ou simple soldat, il appartient au nouveau de se faire accepter. Pour le nouveau commandant, plusieurs facteurs compliquaient le processus d’adoption : sa nomination n’avait pas manqué de décevoir certaines légitimes ambitions. Dans de tels cas, on redoute toujours l’inconnu, surtout lorsque sa sécurité personnelle, celle de l’unité peuvent dépendre de son régiment, de ses réflexes; et puis, on croit déceler un blâme des autorités dans un choix fait hors des cadres de l’unité.

Un officier devait commenter ainsi l’arrivée du nouveau commandant : « C’est un jeune homme de vingt-neuf ans de la Force permanente. Cela fait une différence avec l’autre, qui en avait cinquante et qui n’était pas très fort. C’est difficile de savoir encore quelle sorte de type c’est. Mais cela va faire du bien d’avoir du sang neuf dans le bataillon, surtout que quelqu’un qui vient d’en dehors ne sera pas embêté par les vieilles amitiés de temps de paix et les relations de famille. »

L’homme avait un splendide physique : 6 pieds deux pouces de taille (environ 1,87 mètre), de larges épaules, des muscles d’athlète, le regard franc, la mâchoire exceptionnelle. On ne tarda pas à se rendre compte que d’exceptionnelles qualités morales et intellectuelles habitaient cette enveloppe.

Mais rien de cela ne figure officiellement dans le Journal de guerre de l’unité. Tout ce qu’on peut lire à ce sujet, c’est que le nouveau commandant, le Lieutenant-colonel Dollard Ménard, avait été présenté aux troupes, lequel, ajoutait-on, recevrait la collaboration de tous les hommes et officiers, tandis que l’aumônier avait commenté le départ de l’ancien commandant.

Toutefois, quelques jours plus tard, le Journal de guerre notait que le moral de chaque individu était très élevé malgré le fait que l’entraînement avait été intensifié de pratiquement 100%.
Pour sa part, Ménard expliqua plus tard que les hommes des Fusiliers Mont-Royal avaient tout le potentiel pour devenir un bon régiment, mais que c’était un secret de Polichinelle à l’époque que la discipline y était un peu relâchée et que sous le commandement de Grenier, les officiers avaient tendance à jouer leur rôle quelque peu en dilettante en attendant la guerre et les choses sérieuses.

Dès son arrivée, Ménard s’activa à redresser la situation. À compter du printemps 1942, l’entraînement serait sans pitié pour tous et à point. D’ailleurs Ménard s’entraînait avec ses hommes selon un véritable plan d’entraînement de commando qu’il avait conçu lui-même sur mesure pour le régiment que le Major général John Roberts, nouveau commandant de la 2e Division, lui avait demandé de transformer en « belle unité ».

Il s’agissait maintenant de travailler fort, le nouveau commandant n’y allant pas par quatre chemins. Mais beaucoup de jeunes officiers trouvaient que cette méthode forte faisait du bien, car Ménard était un bon militaire et estimaient que le régiment en avait bien besoin.

Ménard réussit en un temps record à surmonter des difficultés auxquelles son expérience l’avait heureusement préparé. Bientôt, hommes et officiers n’hésitèrent pas à dire qu’ils étaient prêts à suivre au bout du monde cet « étranger » accueilli d’abord avec une certaine méfiance.

Ménard leur promit qu’ils « joueraient vraiment aux soldats », selon l’expression consacrée de l’armée canadienne. Les hommes étaient sceptiques au début, ayant entendu bien d’autres salades du genre. Mais le nouveau commandant avait déjà commencé à faire confiance à ses hommes, à les traiter comme des soldats et à exiger des résultats.

Selon Lucien Dumais, à son arrivée, Ménard trouvait que le bataillon ne valait pas grand-chose. Il le répéta aux hommes pendant quinze minutes, ne faisant aucune allusion aux officiers et encore moins à l’ancien colonel qui semblait n’avoir jamais existé.

Les trois premiers jours de son arrivée au régiment, Ménard s’enferma dans sa chambre pour étudier les dossiers du régiment. Le lendemain, un dimanche, on le vit à la messe, mais il ne présida ni à la parade ni au salut régimentaire. Ce n’était pas le décorum qui l’intéressait, mais l’efficacité.

Dès le lundi, il s’attela à la tâche. Toute la journée, il interrogea les différents officiers comandants de compagnie et d’état-major dans son bureau. Le mardi matin, tout le monde sut qu’il n’était pas content et que tous en avaient pris pour leur rhume, collectivement et individuellement. L’après-midi, ce fut le tour des Sergents-majors et Sergents d’être harangués.

Ménard réussit, en quatre mois, à transformer l’unité.
Il ne grognait pas, mais c’était tout juste. Quand il n’aimait pas quelque chose, les intéressés se le faisaient dire! Il avait l’œil partout et arrivait à l’improviste à l’endroit où on l’attendait le moins, alors qu’on croyait certain qu’il était occupé ailleurs.

Un de ses premiers objectifs fut de s’assurer que chaque homme avait son matériel et s’en occupait correctement. Gare à ceux qui ne savaient pas l’entretenir! Il fit ensuite vider les magasins du quartier-maître régimentaire, ne gardant que les réserves essentielles. Trois jours étaient alloués au bataillon pour se mettre en tenue de combat, tout le monde sachant bien qu’il n’était pas seulement question de vêtements, mais de s’équiper adéquatement en armes et en matériel et de savoir comment s’en servir.

Dès que le bataillon fut adéquatement équipé, Ménard passa à l’attaque. Les hommes, non prévenus, furent réveillés en pleine nuit par une alerte. Rien ne fonctionna comme prévu et pendant les deux jours qui suivirent, Ménard fit le tour de son bataillon. Personne n’eût de compliments. Par contre, tout le monde eut droit à la critique! Finalement, il conclut sa tournée en disant qu’il verrait si ça serait mieux la prochaine fois et que ça avait besoin de l’être!

Le 11 avril, il écrivit dans le Journal de guerre régimentaire que cet exercice avait été mieux réussi que les précédents, mais qu’il y avait encore de la place pour une plus grande coopération et pour une plus grande discipline.

La leçon suivante fut celle des barbelés. Le nouveau commandant voulut que ses troupes apprennent à se débrouiller au milieu des barbelés et sachent comment s’y prendre.

Après un mois de travail intense à ce rythme, Ménard avait eu le temps d’étudier le comportement de ses officiers. Il confirma donc le Major René Painchaud comme son adjoint et confia à divers officiers, à titre d’essai et à tour de rôle, le commandement des compagnies. Enfin, lorsque le Capitaine Conrad Camaraire démissionna de son poste de paie-maître pour solliciter un emploi de combattant au sein de l’unité, Ménard le nomma Capitaine-adjudant.

Depuis l’arrivée du nouveau commandant, un tri systématique s’effectuait, tri qui affectait tous les éléments de la hiérarchie, depuis les officiers les plus anciens jusqu’au dernier soldat, en passant par les sous-officiers. La cote d’efficacité montait de jour en jour et le moral, comme il arrive dans de tels cas, grimpa en flèche.

Ménard, d’ailleurs, prêchait par l’exemple. S’il exigeait beaucoup de ses subordonnés, il ne leur demandait rien qu’il n’était prêt à faire lui-même le cas échéant. Savoir payer de sa personne au bon moment valait tous les discours du monde aux yeux de ses hommes.

Le 19 août 1942, Ménard mena ses hommes sur la plage de Dieppe où tous firent preuve de courage dans ce qui constitue la page la plus sanglante de l’histoire militaire canadienne de la Deuxième Guerre mondiale.

Grièvement blessé, il est secouru sur les plages par un petit groupe d’hommes réunis autour du Sergent Pierre Dubuc. Ce dernier le prit sur son dos et ils réussirent à embarquer sur une barge et regagner l’Angleterre.

Seul commandant des unités canadiennes engagées dans le combat à revenir de Dieppe, il reçut l’Ordre du Service Distingué (DSO) pour son courage. La France devait également ultérieurement l’introniser Officier de la Légion d’Honneur et lui décerner la Croix de Guerre avec deux palmes. Enfin, le gouvernement du Québec lui décerna l’Ordre national des Québécois.

Soigné en Angleterre et au Canada, Ménard se fit confier, en 1943, le commandement du Régiment de Hull et participa avec celui-ci à l’occupation de lîle de Kiska (Aléoutiennes). Il commanda ensuite la 13e Brigade canadienne d’infanterie et le Centre d’entraînement de Valcartier mais son état de santé ne lui permit pas de participer à la campagne de Normandie et à la libération subséquente de la Belgique et de la Hollande.

Après le conflit et jusqu’à sa retraite, Dollard Ménard occupa de nombreuses fonctions militaires, dont celles d’attaché militaire en France ainsi que celle de Chef d’état-major de la Commission des Nations-Unies en Inde et au Pakistan.

En 1956, il est promu Brigadier général et commandant de la 3e Brigade d’infanterie canadienne. En mars 1958 et jusqu’à sa retraite, il occupa ensuite le commandement de la Région militaire de l’Est du Québec.

Il est décédé le 14 janvier 1997.

Décoration